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Nouvelles Causeries japonaises — La lettre n’est rien, l’esprit est tout

28 mars 2014 Paul-Raymond du Lac

Nouvelles Causeries japonaises

IX — La lettre n’est rien, l’esprit est tout

À Hiyoshi

Un des plus grands malheurs des sociétés occidentales désincarnées est la vaniteuse prétention d’avoir cru pouvoir exclure la religion, mot devenu tabou répulsif. En un certain sens étymologique, les révolutionnaires ont accompli leur œuvre de malheur : excluant la religion, qui signifie relier, ils ont tranché net dans le corps social, s’évertuant sans cesse à briser l’homme afin d’en faire un pauvre individu, atome errant qui doit se trouver une nouvelle religion. Toute la force de la révolution réside en ce fait naturel que les illuminés nient : l’homme penche irrémédiablement vers la religion. Sauf que, quand l’homme a été réduit à l’état d’individu, sans plus de repères, ni d’ancres, ni d’étoile polaire, il se raccroche à ce qu’il peut, c’est-à-dire à lui-même et à sa pensée. Un peu d’abstraction nauséabonde et vidée de sa chair, et le tour est joué : l’idéologie naît et fait office de nouvelle religion, ne faisant que lier l’individu à lui-même en remplaçant les mystères du monde et la métaphysique par la sacralisation de l’individu. Le drame dans tout cela habite la contradiction interne où se trouvent tous ces hommes maudits par la modernité : vidés sans cesse, ils doivent remplir leur tonneau des Danaïdes par la destruction de tout ce qui n’est pas conforme à l’idéologie. Ils ne peuvent survivre que dans une folie destructrice infinie qui appauvrit dramatiquement toute perception et accentue le refus total de tout ce qui n’obéit pas à leur idéologie. Le lien qui tourne en rond, en soi-même, sans personne d’autre, sans perception des mystères, ne peut supporter la vision de sa propre contradiction : on détruit donc ce qui apparaît contradictoire. Certes vainement, puisque les mystères existeront toujours, que l’homme les contemple ou les ignore ! Mais que de victimes inutiles, que de folies, que de maux ! Ce mal est véritablement diabolique, car il ne laisse même pas la place à la reconnaissance d’un bien, au pardon et au perfectionnement.

Cette désertion du sacré et de la religion se retrouve dans la conception moderne des lois, conception découlant directement du phénomène de désincarnation propre à la société moderne individualiste. Comme l’individu est le nouveau dieu tout-puissant, il décide du bien et du mal : tout peut donc être proclamé, voté, défini, car l’imagination humaine tournant à la folie n’a pas de limites, et comme plus rien n’est sacré, tout peut être adopté à la majorité. Autrement dit, c’est un individualisme multiplié autant de fois qu’il y a d’individus.
Cela est flagrant dans l’absurdité des constitutions démocratiques. N’avez-vous jamais trouvé bizarre et étrange que des lois censées être fondamentales puissent être réformées et changées ? Que les procédures soient difficiles, soit, mais la possibilité même d’une modification met au jour tout le vide de nos sociétés... : nous ne reconnaissons aucun principe ni aucune règle intangible. Pendant longtemps, quand les gens — même fous — avaient encore un fond d’humanité et de crainte respectueuse face à la majesté du monde, quand les gens étaient habituellement honnêtes, c’est-à-dire quand ils reconnaissaient les mystères et savaient que les hommes, par définition, ne sont pas des dieux, il était simplement évident que les constitutions n’avaient pas de valeur intrinsèque. Seul l’esprit, c’est-à-dire la recherche du bien, comptait. Croire que des pauvres mots puissent contenir toute la vérité, sans rien au-delà, est la folie de la modernité. Une constitution véritable n’a pas besoin de l’écrit pour exister : elle existe naturellement. Il vaudrait mieux même éviter l’écrit autant que possible, car il pousse à l’idolâtrie de l’objet-texte que l’on viole sans cesse par la suite.

Le Japon, lui, n’est pas fou. Il a beau avoir été forcé par l’intrusion occidentale, puis par l’envahisseur américain, à adopter des principes délétères, il ne les applique en fait pas. Prenons le tennô par exemple. Il est frappant de constater qu’une analyse minutieuse de ce qui se passe dévoile un fait qui pourrait surprendre l’Occidental croyant que le Japon se modernise spirituellement : si on ignore les textes et la constitution, et que l’on observe simplement les pratiques et les discours, l’empereur agit, parle et possède les mêmes prérogatives qu’avant la Seconde Guerre mondiale. Incroyable me direz-vous, et pourtant cela va jusqu’à des rapports périodiques du Premier ministre en personne afin d’obtenir l’avis du souverain [1]. Que cela veut-il dire ? Que les Japonais considèrent à juste titre qu’un bout de papier ne peut en aucun cas remettre en causes des vérités éternelles transmises par la coutume, vivante et issue d’une expérience millénaire. Ces règles sont vécues et peu nombreuses mais elles sont intangibles et ne proviennent pas d’individus démocratiquement entassés dans des scrutins imbéciles. Cet état d’esprit existe à tous les échelons de la société et provoque la perplexité de l’Occidental révolutionnaire qui peine à comprendre ce peu de respect et d’intérêt pour la « loi » [2]. Alors même que le Japon est connu pour son respect de la règle ! Oui, c’est vrai, mais de la règle droite et juste. Si le bout de papier raconte des sornettes de façon évidente, on s’en fiche et on continue à fonctionner comme cela s’est toujours fait.

L’obsession mortifère de l’Occidental pour ce qui est légal — nouveau texte sacré, car écrit et décidé par les hommes, et même s’il change tous les jours — souligne le ridicule attristant de notre monde. Quand on voit ceux qui sont censés reconnaître l’au-delà et ceux qui sont censés défendre la vraie religion se poser encore des questions idiotes à propos de la légalité ou non de se rassembler, de manifester ou que sais-je encore, on se rend compte du degré d’abêtissement général de la société qui ne possède plus de forces vives. Détruire, elle sait le faire ; mais recréer, quelle épreuve ! Même les catholiques, connus pour avoir des ancres auxquelles se raccrocher afin de discerner certaines vérités évidentes se font berner par leur réputation de gentils-qui-respectent-la-loi ! Respecter la loi signifie faire le bien dans sa vie de tous le jours. Et cela fait longtemps que la loi de notre pays, non contente de ne plus rien discerner, force à faire du mal, de façon évidente. Alors il suffit de jeter ces textes à la poubelle et de faire comme s’ils n’existaient pas. Idem pour les impôts injustes.

Vivement la restauration, quand les personnes pourront enfin être émancipées de cette infantilisation dégradante imposée par nos régimes qui empêchent de vivre et de rechercher le bien, en forçant les comportements et en exterminant toute idée de liberté personnelle, et cela au nom des droits et de la liberté, quel comble !

Paul-Raymond du Lac
Pour Dieu, Pour la France, Pour le Roi

[1Collectif, Le Tennô aujourd’hui et autrefois (天皇のいま・むかし), Tokyo, Gakushû no yûsha, 2007, p. 95-97. On peut ainsi trouver par exemple cette phrase typique et révélatrice de la réalité de la société japonaise : « Ce fait que le cérémonial lié au tennô chef d’État avant-guerre n’ait pas changé après-guerre, montre que les habitudes et l’esprit de l’ancienne époque se maintiennent. Cela fait dire à certains que le tennô est [non pas un symbole comme le définit la constitution mais], dans la forme, un chef d’État « この事実は、天皇が元首であった時期の行為を形式的に継承すれば、旧時代の慣例や精神が維持され続けることを示しています。ここから「天皇は形式的に元首である」という説をなす人もいるほどです。 »

[2Jacques DUPOUEY dans Passeport pour le Japon des affaires, Paris, L’Harmattan, 2007, souligne le fait que les Japonais, par exemple, vont en moyenne extrêmement peu devant les tribunaux, et s’en remettent à une médiation coutumière au sein des communautés locales.

28 mars 2014 Paul-Raymond du Lac

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