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Nouvelles Causeries japonaises – Faire de l’histoire autrement

Nouvelles Causeries japonaises

XXII – Faire de l’histoire autrement

À Hiyoshi

« Tsuwada avait émis l’opinion, de bonne heure, que le kiki [1] relatant les temps des origines et les temps divins était une œuvre composée a posteriori. Pourtant, même si l’on suppose que le récit repose sur une volonté et sur un dessein, il est impossible de considérer que l’ensemble n’est qu’un pur produit de l’imagination. Il est impensable que rien ne provienne des légendes et de la transmission orale, et que tout sorte de la tête d’une personne qui aurait tout calculé afin d’arranger le récit comme il fallait, tout en cachant son dessein [2]. »

Le Japon ne cesse de rafraîchir l’esprit occidental quelque peu encrassé par le manque de spiritualité et une carence d’humanité incarnée. L’étude de l’histoire y dévoile une manière revigorante d’envisager les sciences. Tout ce qui compte, c’est la poursuite de la vérité, et toutes les capacités humaines et les indices existant peuvent être utilisés pour avancer en savoir, et grandir en sagesse et en humanité ; il suffit donc d’être ouvert à la vérité.

Le cas de l’histoire, malgré des attaques modernistes qui n’ont jamais véritablement percé, montre typiquement cela, et rétablit quelques principes élémentaires mais essentiels. Deux sont, en particulier, fondamentaux. Le premier principe réside dans la conception de la raison, simple outil subordonné à l’esprit et au cœur, outil qui peut rendre d’incroyables services, mais qui n’est pas plus que ce qu’il est, avec ses pauvres limites. Au Japon, on sait bien que les mots restent limités et ne peuvent jamais englober la réalité : l’homme est condamné, avec les mots, à tourner toujours autour de ce qu’il veut véritablement dire sans jamais parvenir à transmettre la réalité profonde de son vécu et de sa compréhension, réalité et vérité que – de toute façon – personne ne comprend parfaitement et purement.

Le second point fondamental, découlant du premier, est l’acceptation humble de la limite intrinsèque de l’homme et, par là, la reconnaissance de la métaphysique, ou, si vous préférez, de l’existence de Dieu. Le problème n’est pas de savoir si le surnaturel, le sacré et l’invisible existent : cela est évident ! Il s’agit plutôt de progresser sur le chemin des dieux. Pas de blanc ni de noir, ni bête ni ange, simplement un chemin que chacun emprunte et sur lequel on avance comme l’on peut, à son rythme. Ne pas s’y engager est un déni de l’humanité, rien de plus.

La science, historique en particulier, se fonde donc sur l’étonnement et sur la curiosité de savoir ce qui s’est passé et ce qu’ont fait nos prédécesseurs sur Terre. Il est ainsi hors de question d’exclure certains types de sources et de nier l’existence des esprits ; il est en effet absurde de nier quelque chose d’improuvable, la science au contraire n’est bonne qu’à montrer l’existence, mais certainement pas à pouvoir affirmer avec certitude qu’une chose n’est pas. Il suffit de constater une fois un événement pour dire que c’est possible ou que cela existe, mais aller prouver que jamais personne n’a ressuscité, malgré tous les indices qui vont à l’encontre de cette opinion, est une folie éhontée.

Un exemple concret peut se trouver dans les mythes et dans ce que ceux-ci peuvent nous apporter de connaissances sur les vieux faits historiques et nos origines. Il est ainsi couramment admis, parmi les chercheurs au Japon, que les mythes ont une valeur historique certaine. Tout peut être croisé, mélangé, modifié par des siècles de transmission et d’adaptation, mais il reste admis que ce récit des origines et des dieux est avant tout l’histoire très romancée et divinisée du peuple japonais et de son histoire dans les temps anciens. Ainsi, le tennô, descendant des dieux, le serait de fait, en ce sens que les dieux des mythes étaient des héros des temps premiers. De la même façon, les premiers tennô de la période divine vivaient beaucoup plus de cent ans, comme certains patriarches dans la Bible. Certaines hypothèses expliquent, pour le cas japonais, ce fait assez facilement : la perte de la mémoire de certaines périodes et de certains faits a fait fusionner en un personnage plusieurs personnes historiques ; plusieurs tennô en un seul.

Les mythes ne sont peut-être qu’une simple expression d’une conception du cosmos, avec de jolies histoires quelque peu incroyables, mais ils sont probablement les témoins d’une histoire très ancienne, transmise pendant très longtemps de manière orale avant d’être fixée. Le défi de saisir le sens historique de ces œuvres est une entreprise ardue, mais bien noble, pour qui a le courage de le relever, sans se laisser dissuader par les cris poussés par des illuminés.

Paul-Raymond du Lac
Pour Dieu, Pour le Roi, Pour la France

[1Terme qui désigne le kojiki et le nihonshoki, deux recueils contant les origines du Japon, compilés au VIIIe siècle sur demande royale, afin de rassembler légendes et histoires des origines de la dynastie jusqu’au moment de la compilation. Ces recueils furent remis à l’honneur avant-guerre, et souvent utilisés dans les recherches historiques. Après-guerre, il leur fut reproché d’avoir été utilisés par la propagande d’avant-guerre, et d’être des récits fabulateurs.

[2Hideo OSABE, D’où est venu le tennô ? (天皇はどこから来たか), Tokyo, Shinchôsha, 1996, p.182 : « 記紀の神代史と上代史が、後世の述作であるというのは、つとに津田氏によって主張されてきたが、たとえ一つの構想にもとづいてまとめられた物語であっても、材料のすべてまで空想の所産と見ることはできない。
なんの伝説もないところに、すべて頭のなかから都合のいい物語を作り出す力があったとは、とてもおもえない。 »

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