Nouvelles Causeries japonaises – Chute de neige

Nouvelles Causeries japonaises

XXI – Chute de neige

La nature japonaise s’est encore manifestée, comme à son habitude, en imposant toute sa force et sa beauté. Il a neigé sans discontinuer toute le journée d’hier, à très gros flocons. Déjà, au réveil, tout était silencieusement enveloppé par la neige qui ne cessa de s’accumuler tout au long de cette journée venteuse, sombre et sans bruit. Cette nature suscite réellement ce sentiment proche d’une crainte respectueuse et émerveillée, et replaçant l’homme à la place qui lui est dévolue. Elle a aussi cette vertu de rappeler souvent la joie d’être en société, et de se savoir entouré par nos congénères, dans une entraide mutuelle, en cas de coups durs.

La chose en effet la plus impressionnante, au-delà du déchaînement de la nature, est la béate réaction japonaise qui ne manque pas de surprendre le pauvre Français débarquant de la jungle européenne. Cet étonnement de l’Occidental face au Japon a quelque chose de triste puisqu’il démontre, s’il était nécessaire, que la civilité et la politesse ainsi que le sens du service ne sont plus du tout des normes chez nous.

Revenons-en au lendemain de la journée blanche. La couche de neige, épaisse, avait tenu partout, à commencer par les routes et les trottoirs. Paysage hivernal de montagne. Alors même que je n’avais pas entendu un seul chasse-neige, engin particulièrement rare dans le Kantô apparemment peu sujet à d’aussi fortes tombées de neige, tout était praticable. Lorsque je sortis, à la mi-journée, sous un beau soleil hivernal, quel ne fut pas ma surprise et ma joie en contemplant, tout au long du chemin, tous ces habitants qui s’affairaient à dégager – à coups de pelles pour les mieux équipés ; à coups de divers récipients pour les autres – chemins, devantures et routes passant près de chez eux. Chacun faisait un petit effort, fournissait sa part de sueur, devant ce que la nature exigeait, et le résultat était au rendez-vous, en conséquence. Rien de bien exceptionnel individuellement, mais beaucoup de petits efforts, et de petites attentions, choses qui rendent la société chaleureuse et agréable à vivre. Le Japon n’est qu’une grande maison !

Cela est tout de même plus agréable, et beaucoup plus humain, que de se plaindre de l’incompétence des services publics. Il est plus agréable de fournir un effort, et de prendre les devants et de se faire remercier pour son zèle, plutôt que de ne rien faire tout en insultant son voisin qui a lui aussi décidé de ne pas aider. C’est surtout reconnaître la force et la beauté de la nature, en acceptant les difficultés qu’elle nous impose : cela nous donne la satisfaction de pouvoir nous en sortir et arriver à quelque chose par des efforts et grâce aux efforts déployés par autrui.

Vraiment : humilité, travail et services sont les fondements d’une société saine, c’est-à-dire harmonieuse. Ces vertus produisent un cercle vertueux qui désamorce et estompe toutes les frictions et vicissitudes inévitables découlant de l’imperfection de l’homme…

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