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[FICTION] Chronique de la France d’après : la promenade au Luxembourg

Promenade au Luxembourg

Par Jean-Marie LE BELLEC

Il faisait bien froid, en ce jour de décembre 2015. Le soleil, qui perçait rapidement l’épaisse brume matinale, fit sortir les Parisiens soucieux de se délasser après un automne bien sinistre. Il avait fait un temps épouvantable, et la morosité s’était emparée de ce peuple métropolitain, si sujet aux écarts du temps, qui rendait son environnement insalubre plus invivable encore. Pressés dans leurs clapiers exigus, nombre de citadins se déversèrent dans les rues de la « Ville Lumière » en ce dimanche après-midi. Il était environ quinze heures. Bien qu’il fît très froid, le jardin du Luxembourg était plein de vie, grouillant de cette faune parisienne oppressée par les rigueurs météorologiques et sociales. Qu’il est difficile de vivre ainsi, au cœur d’une métropole tentaculaire, l’esprit sollicité en permanence par la publicité, les vitrines des magasins, l’équilibrisme consistant à éviter soit les pattes des congénères, soit les déjections de leurs fidèles compagnons, les solliciteurs de tout poil requérant de l’argent ou une adhésion à Dieu sait quelle organisation destinée à tromper l’ennui. Tromper l’ennui. C’était bien à l’époque le loisir préféré des citadins, qui vautrés dans le néant de leur sempiternelle routine, souffraient sans en avoir conscience du ver de cerveau qui interdit toute réflexion, appelé postmodernité, et qui pousse des individus brisés dans les bras de l’idéologie du « vivre-ensemble ». Histoire de tromper l’ennui.

Dans ce beau jardin du Luxembourg, l’on pouvait tromper l’ennui de plusieurs façons. La plupart vagabondaient, sans savoir où, avec des gens aussi vides qu’eux-mêmes, dans les allées proprettes de la France de jadis, sous le regard de pierre des reines des temps anciens. Rien n’aurait pu troubler ce charmant après-midi, dans cette France purgée, par la grâce de plusieurs années de luttes, de l’hydre infâme de la réaction obscurantiste. Le peuple de France était arrivé à ce niveau suprême du développement humain que constituait l’ennui, illusion de la liberté, qui lui permettait, pour le tromper, d’user à volonté de tout ce que l’autre pouvait proposer, de sa conversation insipide à son corps, devenu le temple absolu de la post-modernité. Les sacro-saintes hormones, anges des temps modernes, en étaient l’âme, le moteur, l’origine et le principe, stimulant avec génie ce qui à présent constituait le centre de la personnalité de chacun, au delà duquel nul ne s’aventurait, car il n’y avait rien, tout simplement. La voici, la philosophie de l’homme d’alors. Il était seul. Enfin seul, enfin libre. Il s’ennuyait, mais au moins faisait ce que bon lui semblait, sans aucune limite, et il en était pleinement satisfait. Mais parmi ces promeneurs dominicaux, tout le monde ne l’avait pas encore compris. Mais, par une heureuse disposition de l’État providentiel, la morale publique trouvait dans les agents de l’ordre des héros qui, d’aucune façon, ne permettaient que pût être offensé l’idéal républicain en ce jardin d’Éden des citoyens égaux.

« Vous ! » s’écria un gendarme à l’adresse d’un groupe de quatre personnes, qui déteignait au milieu de cette assemblée dominicale d’individus séparés.

Les ci-devant se tenaient par la main. Deux adultes et deux enfants. Une famille qui, comme tous les gens flânant dans le parc, profitait de ce froid soleil d’hiver, avant de retourner, le lendemain, dans l’étouffante chaleur des bureaux banlieusards. L’homme mesurait 1 mètre 85, épaules larges, la trentaine, physique sportif, visage carré, petites lunettes rondes sur un nez assez court, le cheveu brun coiffé à la brosse. Il avait une alliance à la main. Vêtu élégamment, il était cadre supérieur dans une entreprise industrielle en proche-banlieue. La femme, 1 mètre 70, le même âge environ, visage rond et souriant, soigneusement coiffée, vêtue d’une longue jupe élégante, et d’un manteau épais. Elle avait le maintien des grandes dames de jadis, et aurait pu trouver sa place parmi l’assemblée des reines qui gardaient depuis des siècles les allées immortelles du parc. Les deux individus étaient mariés. Ils avaient deux enfants, qu’ils tenaient par la main. Nul doute sur la paternité, tant tous deux, le petit garçon de huit ans comme la petite fille de sept ans, ressemblaient à leur père.

« Vos papiers, j’vous prie ! » éructa le fonctionnaire, l’air batailleur, pointant vers le groupe un stylo menaçant. Il était tout entier vêtu de l’autorité de la République, drapé dans le droit, qu’il avait pour mission de défendre. Cet homme avait une très haute idée de sa mission, et ne souffrait que les règles issues de la volonté générale du peuple pussent être bafouées par qui que ce fût.

L’homme sortit son portefeuille de son manteau, sûr de son bon-droit. Il l’ouvrit et tendit à l’agent deux cartes, la sienne et celle de son épouse, dans un geste bienveillant, sans se douter un instant que ce geste anodin eût pu causer sa perte.

« M’sieur, j’pourrais savoir pourquoi, comme qui dirait, vous avez avec vous la carte nationale d’identité d’Madame ? » demanda l’agent, inquisiteur, en saisissant d’un geste vif les documents sacrés, qu’il scruta avec avidité.

« Monsieur l’agent », dit l’épouse, « ainsi, je n’ai pas à la porter moi... »

« M’dame, j’m’adresse à M’sieur, là », coupa le détenteur de l’autorité publique, le torse bombé. « M’sieur, vous la soumettez, la m’dame, en lui refusant de porter elle-même son identité. L’est même convaincue qu’c’est un avantage pour elle. En gros, vous la confinez dans l’espace domestique, et la prenez en otage, et c’qui est grave, c’est qu’elle a intériorisé ça. Le simp’fait qu’elle doit passer par vous pour avoir ses papiers prouve que vous avez une idée patriarcale de la famille, M’sieur. J’vais être obligé de dresser une contravention pour oppression d’la femme ».

« Mais enfin, c’est ridicule », répondit l’homme calmement, qui avait peine à comprendre ce que ce gendarme pouvait bien lui vouloir. Après un tel scandale au sujet de la carte d’identité, que pouvait-il attendre de la suite ? « Vous outrepassez vous droits jetant des présomptions fantaisistes, sur le simple fait que je porte la carte d’identité de ma femme... »

« VOT’femme ? » répéta l’agent en levant sa tête mesquine barrée par un rictus infect. « Une femme n’est pas un objet, m’sieur ! Plus besoin d’aut’preuve. Vous allez l’avoir, vot’amende, M’sieur Jean Dupont ». Il avait dit tout cela très rapidement, comme porté par l’excitation. Il se sentait investi d’une mission presque divine, et comptait bien aller jusqu’au bout de sa logique. Il se voyait déjà promu, décoré des mains mêmes du ministre de l’Intérieur, voire même du Premier ministre, et pouvait rêver, pourquoi pas, à monter bien haut dans la vénérable hiérarchie de la gendarmerie nationale. Il sortit alors son carnet de contravention, et commença à écrire frénétiquement. L’homme, agacé, serrait les dents. Son épouse lui prit le bras, et lui sourit avec un air gêné, en haussant les sourcils. Elle n’avait pas besoin de parler pour qu’il la comprenne. Son expression disait clairement, « On a affaire à un con. »

« Mais vous ne nous avez pas apostrophé pour ça », dit l’homme, en recevant d’un air incrédule son avis de contravention. « Vous pouvez être sûr que je vais en appeler au tribunal. »

« Des menaces, maint’nant ? » répliqua le petit roquet. « Et pour répondre, j’n’outrepasse pas mes droits. Je ne fais que respecter le droit d’la République, dans l’intérêt de M’dame. Et z’avez raison d’me dire que j’vous ai pas interpellé pour ça. Si j’vous ai arrêté, M’sieur, c’est comme qui dirait passque vous constituez ici une manifestation non-déclarée. En application de la loi, j’dois vous adresser une contravention forfaitaire de 650 €. J’vais par ailleurs vous sommer d’bien vouloir quitter l’parc. »

« Mais je ne comprends pas », dit la femme, émue par le couperet de cette inique sentence. « Que nous reprochez-vous ? C’est à n’y rien comprendre. »

« Pas b’soin d’prend’ vos grands airs, M’dame. Des gens vous ont dénoncé, et j’ai constaté moi-même, en flagrant délit, comme qui dirait, qu’vous vous teniez par la main, avec les enfants. C’est très grave, M’dame. C’est interdit d’puis la tentative de coup d’État de 2013 de la bande à Barjot. Vot’posture reproduit le logo d’leur Manif pour tous. N’faites pas comme si saviez pô. En plus d’manifester d’vant tout l’monde votre homophobie au grand jour, z’offensez tous les types d’familles qui s’promènent dans c’parc, en imposant vot’modèle hétéronormé intolérant. Vlà pourquoi j’suis obligé vous r’filer c’te contravention. »

« Mais vous n’y êtes pas, Monsieur l’agent », répliqua le père, qui tentait de conserver son calme, alors que quelques personnes commençaient à s’approcher, poussées par la curiosité. « Tenir la main de ses enfants n’a rien de politique. Nous nous promenons ensemble, en famille, tout simplement, pour profiter du... »

« N’vous moquez pas d’moi », interrompit le représentant de l’ordre républicain, l’uniforme gonflé de prétention et d’idéologie. « J’connais bien vot’ptit jeu et vos pratiques lamentables. En plus d’imposer à tout le monde vot’ conception d’la famille, alors qu’y’en a qui veulent pas vivre comme ça, vous lavez l’cerveau d’vos enfants, et les mettez dans un rôle en fonction d’vot’ conception du monde, m’sieur. Et en plus de c’la, vous les entravez dans leur liberté, en les gardant par la main. Et pis vous avez mis une jupe à vot’fille, c’qui entrave ses mouvements. Et comme ça, vous reproduisez les inégalités, m’sieur. Et j’observe que vous les habillez d’une manière hétéronormée, sans leur demander s’ils voudraient pas des fois s’habiller autrement. En gros, vous leur imposez vot’modèle, alors que ça sera pt’êt pas leur choix plus tard. Vous êtes en train d’créer des gens cassés, brimés dans leur créativité et leur liberté. Devriez avoir honte, M’sieur ! »

« Mais je n’ai jamais entendu chose aussi stupide », répliqua la mère, qui commençait à perdre ses nerfs. « Je ne vous permets pas de parler à ma place, et encore moins à la place de mes enfants. Comment osez-vous nous juger du haut de votre képi, sur la base de votre idéologie de... »

« M’dame », coupa le gendarme, prenant soudainement un ton faisant plus penser à de la pitié qu’à de la colère, « j’sais que le m’sieur vous impressionne, et qu’vous êtes sans doute victime de maltraitances. Ne vous justifiez pas, M’dame », dit-il en la voyant bouillir de rage, son beau visage d’ordinaire si jovial étant à présent agité par une colère irrépressible. « C’est des choses que les femmes victimes comme qui dirait de violences conjugales ne disent pas de gaieté de cœur. Mais n’vous en faites pas, passque ce soir, vous dormirez en sécurité, foi de Kévin Dubonneau. M’sieur, j’vais d’voir vous faire placer en garde à vue. »

« Co...comment !? » dit l’homme d’une voix étouffée, croyant à peine à ce qu’il venait d’entendre. Il ôta ses lunettes de son nez et se massa les yeux un moment, assommé par le cauchemar qu’il était en train de vivre.

« Parfaitement, M’sieur », répondit le gendarme d’une voix ressemblant à un claquement de fouet, arborant un horrible sourire sur son visage malfaisant. « C’est l’rôle d’la police de mettre hors d’état de nuire les bourreaux d’enfants et les tortionnaires de femmes sans défenses ».

L’homme, terrifié par l’ampleur de l’injustice dont il était victime, se mit à invectiver le gendarme, le saisissant par le revers de sa veste. La mère s’accroupit à côté de ses enfants, qui pleuraient abondamment, pour tenter de les rassurer. Elle réprimait ses larmes, afin de ne pas s’avouer vaincue. Mais, devant ce spectacle sinistre, elle n’avait plus guère la force de dire quoi que ce soit. C’est impuissante qu’elle vit une demi-douzaine de gendarmes accourir, et se saisir de son époux. Attirés par l’esclandre, presque tous les visiteurs du parc s’étaient massés autour de cette scène surréaliste. Les gendarmes menottèrent l’homme sans ménagement, la face contre un arbre. Dans la foule des badauds régnait un silence angoissé. Quelques chuchotements racontaient aux nouveaux-venus la genèse de cette affaire, qui déjà avait ameuté un de ces dissèque-excréments des temps modernes, appelés par les cuistres « journalistes ».

« Nous y voilà », dit le petit gendarme qui avait mené toute cette affaire depuis son origine, le visage illuminé par la joie que procure le devoir accompli. « Coffrez-moi ça », ordonna-t-il. « Vous s’rez poursuivi pour maltraitances, organisation d’une manifestation non déclarée, endoctrinement d’enfants, outrage à fonctionnaire de la république dans l’exercice de ses fonctions et racisme ».

« Comment ça, racisme ? » explosa l’homme, se débattant de toute ses forces, mais maintenu contre l’arbre par les six gendarmes arrivés en renfort. La foule commençait à s’agiter suite à l’énoncé des poursuites. « De quel droit osez-vous m’attacher comme un malfaiteur, et me charger de ces accusations fantaisistes. Racisme ? Et puis quoi, encore ? »

« Vos deux enfants sont blancs, M’sieur » interrompit avec une ferme autorité le gendarme. « Vous refusez la diversité, et donc vous faites un acte de racisme. Vot’compte est bon. Emmenez-moi ça. »

L’homme fut conduit de force, l’escouade de gendarmes fendant une foule hostile et hystérique, passant devant l’épouse et les enfants terrifiés. Un journaliste de Caniveau 89, arrivé le premier sur place, eut l’honneur d’avoir la primeur de l’événement, et de titrer, glorieux : « Racisme et sexisme ordinaire à Paris, le retour inquiétant de l’idéologie d’extrême-droite », repris par tous les scribouillards germanopratins dans les secondes qui suivirent.

L’homme, qui se débattait avec l’énergie du désespoir, fut évacué manu militari de la scène, afin d’être conduit au poste de police le plus proche. Mais, alors qu’ils arrivèrent au niveau de la grille du parc, il reçut un projectile au visage, qui le fit saigner abondamment. « À mort le fasciste », cria un homme parmi la foule, qui, les yeux injectés de sang, courut derrière des gendarmes afin d’appliquer lui-même la sentence qui convenait à crime odieux, contre lequel il ne pouvait y avoir de pardon. Les badauds se mirent à le suivre, hurlant un flot d’injures contre le nouveau paria. Rudement molesté, il fut dégagé avant que pût lui être infligé l’estoc. Il avait le visage en sang et demeurait à moitié inconscient, ses vêtements déchirés laissant voir une petite croix argentée qu’il portait autour du cou. Il fut conduit à l’hôpital, puis, dès que son état le permît, il fut placé en détention provisoire dans le quartier de haute-sécurité d’une sinistre geôle, dont la France seule a le secret.

Le scandale de cet après-midi d’ennui généralisé avait gagné le pays tout entier, pour, comme le disaient avec talent les commentateurs, « réveiller les consciences ». Le gouvernement d’Emmanuel Menuet, monté au créneau, fustigea l’ambiance délétère qui régnait sur le pays, qu’il attribua sans l’ombre d’un remords aux « groupuscules d’extrême-droite qui lancent chaque jour de nouveaux défis à la République ». Il se félicita qui plus est du professionnalisme des forces de l’ordre, qui avaient su débusquer sans faiblesse les mouvements de l’hydre, et avaient su lui couper la tête à temps. Il annonça par ailleurs que les héros de ce jour, en dignes fils du vivre-ensemble, seraient décorés de ses mains, en récompense pour les services rendus à la nation. Le ministre de l’Éducation déclara quant à lui doctement que pour s’assurer qu’un pareil crime jamais plus ne se reproduisît, il était urgent d’arracher l’enfant aux préjugés patriarcaux provenant de la famille. L’opposition se joignit au chœur des indignés, et le parlement vota comme un seul homme une nouvelle loi contre le racisme et le sexisme. Ainsi, il parvint à démontrer son efficacité, et l’affaire qui agita la France ce dimanche fut oubliée le mercredi.

Deux mois plus tard, un petit article dans le journal Libération, apporta le dénouement de cette sinistre affaire :

« Jean Dupont, “individu d’extrême droite proche des milieux catholiques intégristes”, d’après les mots du réquisitoire de Mme Carole de la Forest, a été condamné par la cour d’assises de Paris à douze ans de prison ferme et cent mille euros d’amende pour incitation à la haine raciale, corruption d’enfants, séquestration et maltraitance. Le ministère de la Justice se félicite de cette sentence qui “montre à la face du monde que la France ne saurait tolérer l’intolérance et l’oppression”. Ses victimes, maintenant l’innocence du prévenu, ont témoigné en sa faveur au tribunal. Sur la recommandation du professeur Dominique Tardy, l’épouse a été internée à l’hôpital Sainte-Anne, victime d’un exemple caractérisé de “syndrome de Stockholm dans un des cas les plus sévères qu’il m’ait été donné de voir”. Les enfants, Charles et Antoinette, ont été placés dans la maison d’accueil de la fondation “Adam et Yves” de Pierre Pasteur, dans le IVe arrondissement de la capitale. M. Dupont a décidé de faire appel de la décision de la cour d’assises. Ledit appel, face à l’engorgement des tribunaux pour des affaires similaires, ne devrait pas avoir lieu avant cinq ans. »

La famille d’aujourd’hui ?

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