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Alors que faire ? Il faut rompre avec l’avarice et la cupidité, c’est-à-dire remettre l’argent à sa place : bon serviteur, il est mauvais maître comme chacun sait. C’est l’écho de l’enseignement évangélique : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l’un et méprisera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent » (Mt 6, 24). Le texte grec porte même Dieu et Mammon, c’est-à-dire l’argent hypostasié, devenu une idole à laquelle on sacrifie tout. L’évangile nous invite clairement à choisir, même si c’est douloureux, et cela non pour satisfaire à une règle extérieure mais en vue de notre bonheur. C’est la question posée au jeune homme riche : « Si tu veux être parfait – nous pourrions traduire : si tu veux être heureux –, va, vends tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi. Entendant cette parole, le jeune homme s’en alla contristé, car il avait de grands biens » (Mt 19, 16-23). Et Jésus de s’exclamer : « Oui, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux ! » (Mt 19, 24).
Oui, il est difficile de renoncer à nos chaînes, fussent-elles fines et dorées, pour entrer dans le domaine incertain de la liberté, celle des enfants de Dieu, qui conduit au bonheur véritable. Ce n’est pourtant pas impossible et l’exemple d’un saint Antoine, dans l’Egypte du IVe siècle, nous le prouve : entendant la même parole – celle de l’évangile du jeune homme riche –, il la mit en pratique, devenant le père des moines d’Orient et d’Occident, le lointain inspirateur d’un saint François d’Assise ou d’une sainte Teresa de Calcutta...
Rompre avec l’esprit de lucre, c’est la condition du bonheur parce que c’est retrouver la vérité de notre être. Notre vraie richesse, c’est d’imiter le Christ libre, dans la pauvreté de son obéissance. Encore une fois écoutons saint Paul : « Vous connaissez la libéralité de notre Seigneur Jésus Christ qui pour vous s’est fait pauvre, de riche qu’il était, pour vous enrichir par sa pauvreté » (2 Cor 8, 9). Ce qui nous enrichit, dit curieusement Paul, ce n’est pas la richesse du Christ, mais c’est sa pauvreté. Le cadeau qu’il nous fait, c’est, par-delà le mouvement descendant de l’Incarnation, sa relation de dépendance filiale au Père qui toujours demeure. C’est cela que nous devons cultiver : l’esprit d’enfance, si cher à la petite Thérèse, qui est la vérité de notre être de créature et la vérité de notre être d’adoptés dans le Christ. Nous pouvons accumuler toutes les richesses que nous voulons, nous ne cesserons jamais de dépendre de Dieu, du Christ et de nos frères par qui les biens les plus beaux nous viennent. Et nous avons alors à entrer dans la réciprocité du don avec tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons. Aussi riches que nous soyons, nous sommes toujours des débiteurs insolvables (cf. Mt 18, 23-35), incapables de nous donner l’existence, incapables de nous donner l’éternité.
Ayant compris cela, il faut nous entraîner à la liberté. C’est notre intérêt bien compris, nous enseigne l’évangile. Au cœur de la prière que le Seigneur nous a enseignée pour nous adresser à son Père et à notre Père, il y a cette demande : « Remettez-nous nos dettes comme nous-mêmes les avons remises à nos débiteurs » (Mt 6, 17). Dette : c’est le terme originel en Matthieu, que le latin a conservé, même si Luc (11, 4) l’interprète par péché, comme le fait notre traduction française. Pour que nous soit remise notre dette, existentielle et spirituelle, il faut que nous-mêmes en fassions autant, manifestant ainsi notre volonté d’imiter le Christ, médiateur en sa passion de cet affranchissement. C’est ce à quoi nous invite saint Luc, soulignant lui aussi en passant notre intérêt bien compris : « Donnez et l’on vous donnera. Car de la mesure dont vous mesurez, on mesurera pour vous en retour » (Lc 6, 38).
S’entraîner à la liberté vis-à-vis des biens du corps ou de l’esprit, c’est pratiquer la libéralité : donner de son argent, donner de son temps, donner de son intelligence, donner de son cœur. Le temps du carême nous invite plus particulièrement à nous engager dans ce chemin de libération et de liberté. « Faites-vous des amis avec le Mammon d’iniquité », nous dit saint Luc (16, 9). Car les miséreux grouillent autour de nous, et pas seulement ceux qui n’ont rien ou ceux qui voudraient consommer plus : il y a aussi ceux qui sont misérables parce qu’ils sont pauvres de vérité, pauvres d’affection, pauvres de relation, pauvres de Dieu.
Le baptême nous a conféré une triple richesse que nous pouvons partager : la foi, l’espérance et la charité. La foi nous donne Dieu. Or, « celui qui possède Dieu ne manque de rien : Dieu seul suffit », dit sainte Thérèse de Jésus. « Qui a Dieu a tout ». Un tout possédé réellement, même si c’est dans le clair-obscur de la foi, dans l’espérance de son resplendissement ultime. « Qui a Dieu a tout » : soyons donc cohérents avec notre foi, et que notre générosité en soit un signe. Il ne s’agit pas de renouveler à tout propos le « bûcher des vanités » d’un Savonarole dans la Florence de la Renaissance, mais se rappeler que cupidité et avarice ne rendent pas l’homme heureux.
Nous sommes faits pour plus. Celui qui – comme saint Jean de la Croix – n’a d’autre richesse que Dieu peut s’écrier : « Et toi qu’attends-tu, puisque dès maintenant tu peux aimer Dieu dans ton cœur ? Les cieux sont à moi et la terre est à moi. A moi les nations, à moi les justes, à moi les pécheurs. Les anges sont à moi et la Mère de Dieu est à moi. Tout est à moi. Dieu est à moi et pour moi, puisque le Christ est à moi et tout entier pour moi. Après cela, que demandes-tu et que cherches-tu, mon âme ? Tout est à toi et entièrement pour toi. Sois fière et ne t’arrête pas aux miettes qui tombent de la table de ton Père » (Paroles de lumière et d’amour, 26). Ainsi, en abandonnant tout, nous retrouvons tout ; toutes les créatures sans exception, mais dans la fraîcheur du regard créateur de Dieu, qui les laisse toutes exister librement, sans les tenir captives. Tout posséder, mais en Dieu et à la manière de Dieu, sans la moindre avarice ni cupidité.
« La peste soit donc de l’avarice et des avaricieux », disait Molière (L’Avare I, 3), et de moi le premier car mutatis mutandis de te fabula narratur ! Oui, c’est bien de toi, de moi, que parle la pièce !
Abbé Eric Iborra
vicaire de la paroisse Saint-Eugène-Sainte-Cécile (Paris)
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